Le canyon, un milieu naturel avant tout
Pour bien définir un milieu, il faut tout d'abord définir le biotope, ensemble des caractéristiques physiques et chimiques qui agissent sur ce milieu. Celles-ci prennent donc en considération la géologie, le relief, l'exposition, l'altitude, le climat, la présence d'eau ou non, etc.
Géologie
La Haute Savoie est une immense calciflette. Le relief principalement calcaire est propice au développement de phénomènes karstiques, phénomènes liés à l'érosion par l'eau du relief calcaire conduisant à la formation de plateaux où se forment gouffres et fissures (appelés lapiaz), et de réseaux souterrains complexes (grottes, rivières souterraines, etc).
Recette de la calciflette
- 1,5 kg de calcaire
- 200 gr de granite
- Quelques pincées d'argile et de conglomérats
- Temps de préparation : 70 millions d'années
- Temps de cuisson : 800 000 années
Le bassin versant en canyoning
L'influence du relief provoque une tendance climatique froide et neigeuse en hiver, et douce et orageuse en été. Cela permet d'être plutôt bien alimenté en eau. Mais la Haute Savoie culmine à 4 810 m avec le Mont Blanc et le lac d'Annecy est tout juste à 447 m. Avec cette différence d'altitude, on se doute bien que les conditions climatiques ne sont pas les mêmes (présence de neige ou de glaciers, orages localisés, etc). Chaque canyon doit alors être étudié au cas par cas, ainsi que le relief situé au-dessus. En effet, au printemps et début d'été, même pour les canyons qui ne sont pas très hauts en altitude, les sommets qui les dominent, parfois encore enneigés vont alimenter les cours d'eau grâce à la fonte des neiges. Ainsi, les conditions d'un canyon vont tout le temps dépendre du territoire qui se trouve en amont, de son altitude, de sa surface, de son exposition, de sa géologie, de sa végétation, etc. Cet espace géographique est appelé bassin versant.
Les conditions très variables d'un canyon
Tous ces facteurs entraînent une grande diversité de milieux. Le canyon du Giffre, avec son bassin versant de 160 km² culminant à 3 039 m d'altitude est ainsi toujours en eau. Son débit d'étiage (quand il coule peu) est ainsi de 2 mètres cube par seconde, soit 2 000 litres par seconde. A l'inverse le bassin versant du canyon de la Belle Inconnue, dans les Aravis entre Annecy et La Clusaz, est de 2,5 km² et culmine à 1850 m. Ce dernier coule bien au printemps avec la fonte des neiges ou après des orages ou épisodes pluvieux, mais il n'y aura qu'un petit filet d'eau pendant l'été. Le canyon de Tré la Tête, surplombé par un grand glacier, va couler avec un gros débit au printemps lorsque la neige fond mais aussi en été car le glacier se met à fondre. Ainsi il ne sera à l'étiage qu'en fin d'automne lorsque les premiers coups de froid arrivent.
Des conditions de vie difficiles !!!
Subissant des crues ou périodes sèches, des coups de froid où tout se fige pour ne devenir que de la glace, ne voyant pratiquement jamais le soleil pour certains, les canyons sont des milieux où les conditions de vie peuvent parfois être très difficiles.
Pourtant une multitude d'êtres vivants y ont élu domicile. Qui sont-ils?
Des écosystèmes très particuliers
Le biotope offre donc des conditions de vie. Les êtres vivants qui vont s'y installer représentent la biocénose. L'ensemble des deux avec leurs différentes relations constitue un écosystème. On voit bien sur la photo ci-contre que le fond d'un canyon abrite des écosystèmes très spécifiques. Une végétation typique s'installe au bord des cours d'eau. Boisée, il s'agira d'une ripisylve (étymologiquement forêt riveraine). Plus haut en altitude ou dans certaines gorges très encaissées, cette forêt laissera la place à un autre type de végétation où seulement quelques rares espèces végétales adaptées vont réussir à se développer.
Végétation des cours d'eau
Il est difficile de résumer en quelques lignes la végétation des cours d'eau, sachant que tous sont très différents d'un canyon à l'autre. Toutefois, les contraintes imposées par le milieu ont parfois permis à quelques espèces remarquables de le coloniser car celles-ci font preuve de diverses adaptations.
Les saxifrages, "étymologiquement saxum (le rocher) et frangere (briser)", sont des fleurs qui "fendent la roche". Elles parviennent à coloniser les milieux rocheux en utilisant les moindres fissures pour y développer leur système racinaire. On peut ainsi en observer en plein milieu d'une falaise. Plusieurs vertus médicinales leurs sont attribuées.
La parnassie des marais habite les prairies humides, les tourbières et les bords des cours d'eau plutôt en altitude. Son nom vient de sa beauté. On imaginait qu'elle venait du Mont Parnasse, montagne emblématique de Grèce et lieu sacré des poètes.
La linaigrette, aussi appelée herbe à coton, embellit les zones humides de montagne avec son infloresence cotonneuse au sommet de la tige. Définie comme étant une relique glaciaire, elle a pu s'installer dans nos contrées après les grandes périodes de glaciation et a retrouvé son habitat de prédilection après le réchauffement uniquement dans les tourbières, plutôt en altitude. Ces milieux saturés en eau étant pauvres en ressoucres minérales, elle va les puiser en profondeur grâce à de longues racines de plus de un mètre et constituent des réserves pour les utiliser seulement l'année d'après.
Dans les milieux très humides, la présence d'eau permanente entraîne un manque de nitrates dans le sol, ralentissant considérablement la nutrition minérale des végétaux. Les grassettes et droséras ont résolu le problème, nous permettant d'observer des plantes carnivores en canyon. Elles piègent divers insectes, les digèrent grâce à différentes enzymes pour absorber directement les acides aminés nécessaires à la fabrication de leurs propres protéines.
Et les petites bêtes !!!
Ce milieu, dans lequel la vie paraît impossible en hiver, regorge pourtant d'une grande diversité faunistique. Tout d'abord un grand nombre d'invertébrés participent à un équilibre naturel depuis de très longues années. Certains nous fournissent même de nombreuses informations, les bio indicateurs. Grâce à la présence de ces derniers, on est capable d'évaluer la qualité de l'eau.
Ainsi, si l'on retrouve essentiellement des larves de diptères (mouches, moustiques, taons), des sangsues ou des gammares, on peut imaginer qu'il y a une certaine pollution organique de l'eau car ces espèces y sont très résistantes. A l'inverse les plécoptères et trichoptères à fourreaux, appelés respectivement perles et porte-bois, sont plutôt sensibles aux pollutions organiques et seront des indicateurs d'une eau bien oxygénée et de bonne qualité.
Au même titre que ces dernières espèces, l'écrevisse à pattes blanches, en forte régression, est à elle seule un très bon indicateur de la qualité de l'eau. Sa présence atteste d'un milieu en très bonne santé.
Et ces petites bêtes amènent des plus grosses !!!
Beaucoup de ces larves qui affectionnent les milieux aquatiques deviennent ensuite des insectes et représentent une source de nourriture permettant à d'autres espèces d'y trouver leur bonheur. La grande famille des libellules et demoiselles, les odonates, sont de redoutables chasseurs. Capables de prouesses de vol impossibles pour les autres insectes, les odonates sont extrêmement rapides et utilisent ces facultés pour chasser dans les airs.
Amphibiens et reptiles affectionnent aussi ces milieux. Crapauds et grenouilles pondent leurs oeufs dans l'eau et se nourrissent de larves, d'insectes et autres invertébrés. On les retrouve parfois dans des lieux vraiment improbables, comme dans des vasques tournantes entre deux cascades. La salamandre tachetée, très emblématique, est aussi une habitante de ces milieux, tout comme la couleuvre à collier ou encore la couleuvre vipérine, qui s'observent parfois en canyon, sur les berges ou dans l'eau directement.
Fréquemment observé en canyoning, le cincle plongeur n'est rien d'autre qu'un simple passereau, grande famille appartenant à l'ensemble taxonomique des oiseaux. Pourtant, il est le célèbre inventeur, malgré lui, du becquet arrière de formule 1. Volant au-dessus du cours d'eau, il plonge soudainement comme une pierre, atteint le fond du ruisseau en s'aidant de ses ailes, de sa queue et de ses pattes pourtant non palmées. Ensuite il remonte le courant en marchant au fond avec la tête baissée et la queue relevée. Ainsi, le volume d'eau qui passe au-dessus de sa tête dispose de moins de place au-dessus de sa queue, contrairement à sous l'animal. De ce fait, la pression de l'eau est plus forte au-dessus de l'oiseau qu'en-dessous. Ce dernier utilise donc le courant pour être plaqué au fond, lui permettant de marcher tranquillement sous l'eau et de soulever les pierres avec son bec pour se nourrir des différentes larves et invertébrés qu'il y trouve.
La bergeronnette des ruisseaux avec son ventre jaune vif niche aussi près des berges des cours d'eau et se rencontre parfois en canyon.
De toute évidence, la présence d'eau attire aussi de nombreuses espèces vivant dans les milieux situés à proximité, ne serait-ce que pour s'abreuver. Le milieu est donc fréquenté aussi par les chevreuils, les renards, les sangliers, etc. Lorsqu'on se rend au canyon de la Vogealle, situé dans le cirque de Sixt Fer à Cheval au-dessus de Samoëns, on peut aussi rencontrer la faune spécifique du milieu montagnard et croiser chamois, bouquetins ou bien un aigle royal.
Bref, toutes ces espèces, animaux comme végétaux, acceptent de partager leur maison avec les grimpeurs, les canyonistes, les randonneurs, etc ... A nous d'en prendre conscience, de savoir qui sont ces habitants, qu'ils existent, qu'ils s'adaptent à notre présence, parfois mal, parfois bien. Nous ne partageons pas notre propre maison avec eux, tâchons au moins de respecter la leur si nous voulons continuer de profiter de ce milieu naturel que ces différentes espèces, elles, ont réussi à préserver. Pourtant, elles l'exploitent depuis bien plus longtemps que nous.